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Guam, l'île aux fantômes japonais

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eve
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MessagePosté le: 04 Sep 2004 10:03    Sujet du message: Guam, l'île aux fantômes japonais

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Guam, l'île aux fantômes japonais

Sur cette terre américaine, des familles nippones recherchent leurs proches disparus en 1941-1945.

Par Florence DECAMP - jeudi 02 septembre 2004 (Liberation - 06:00)
Guam (Etats-Unis) envoyée spéciale


Dans la terre humide, Teruo a planté sa canne. Il est resté longtemps désemparé, tremblant au rythme de la brise qui froissait le fil de la rivière, puis d'une main il a couvert son visage pour endiguer le flot des larmes et celui des souvenirs.

Comme des milliers de Japonais avant lui, Teruo est venu sur ce territoire américain de Guam à la recherche d'un fantôme. Celui de son frère disparu dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale. Le 8 décembre 1941, les bombardiers japonais attaquent Guam. De l'autre côté de la ligne internationale de changement de date, on est encore le 7 décembre et Pearl Harbour est en flammes. Dans les eaux du Pacifique, les Japonais envahissent des dizaines d'îles et se taillent un empire qui, disent-ils, va durer mille ans. Guam en est une parcelle qu'ils seront contraints d'abandonner aux Américains trente et un mois plus tard. «J'ai accepté l'idée que je ne reverrai plus mon frère. Mais vous savez pendant quarante ans, j'ai cru qu'il était possible qu'il ait survécu et qu'il revienne lui aussi. Avec toutes ces histoires...» Des histoires pour que l'espoir demeure, comme celle du sergent de l'armée impériale Shoichi Yokoi qui, vingt-sept ans après la fin de la guerre, s'en est revenu au Japon avec son fusil et sa honte. «Je suis désolé de ne pas avoir servi Sa Majesté comme je l'aurais souhaité.»

Lune. Près des chutes de Talofofo où pleure Teruo, un musée décline les mésaventures de cet apprenti tailleur qui avait refusé de croire à la défaite japonaise. Dans la jungle, il s'était nourri de fruits, de poissons et de grenouilles. A mains nues, il avait gratté la terre, creusé une cave où il s'abritait du soleil et des typhons qui régulièrement secouent l'île. Pour se vêtir et fabriquer des nasses, il avait appris à tisser la fibre des palmiers et celle des hibiscus. Pour survivre, il avait retrouvé les gestes et les savoirs du premier peuple de Guam. Pour ne pas s'égarer dans la monotonie des jours, il comptait les cycles de la lune. Au début de cet exil volontaire, Shoichi Yokoi avait eu des compagnons, les maladies et le désespoir les avaient emportés. Seul, il restait, fidèle à ce serment qu'il avait fait à l'empereur, la mort plutôt que la disgrâce d'être capturé vivant. La nuit, quand il s'approchait des villages, il ramassait des journaux abandonnés et des tracts qui parlaient de reddition mais il n'était pas de ceux que l'on berne. Lui, la propagande américaine ne le ferait pas sortir du bois. Tout ça n'était que mensonges ! En 1972, deux chasseurs l'avaient débusqué dans ce recoin de jungle où les touristes japonais continuent de se rendre en pèlerinage même si pour la majorité d'entre eux cette base militaire américaine demeure une immense station balnéaire à quelques heures de vol de Tokyo.

Teruo s'est approché de la cave de Yokoi qui n'est qu'un trou dans le sol, un terrier au creux d'un enchevêtrement de bambous. Les gamins du village racontent que le responsable du musée, fatigué d'entretenir la grotte qui ne cessait de s'effondrer, a fini par en tailler une autre, dans un endroit moins propice aux éboulements, mais qu'importe. Plus que tous les monuments de pierre qui parsèment les îles du Pacifique en mémoire des soldats morts au combat, cette faille obscure parle aux vivants, «un peu comme une tombe», a dit Teruo qui depuis si longtemps cherchait un lieu où il pourrait enfin s'agenouiller.

Deux ans après la réapparition de Shoichi Yokoi, le lieutenant Hiroo Onoda était découvert dans une forêt des Philippines mais lui aussi refusa de se laisser convaincre. Il faudra que son ancien commandant soit dépêché sur place pour l'informer officiellement de la fin de la guerre pour qu'il accepte la vérité. De retour au Japon, Yokoi comme Onoda seront traités en héros nationaux. Yokoi donne des conférences sur les techniques de survie, Onoda écrit sa biographie qui devient un best-seller et ouvre un camp de vacances pour adolescents. Tous deux sont submergés par les demandes en mariage.

«Cerisier en fleurs». «Dans leur malheur, ils ont eu de la chance. Ce n'est pas comme les autres, les premiers à revenir au pays», raconte Hiro qui se souvient du retour des soldats. Des centaines d'entre eux furent récupérées, jusque dans les années 50, dans les jungles des îles Salomon, les montagnes de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou dans les villages de Micronésie. Le plus souvent exhibés comme des animaux par les populations qui les avaient capturés alors qu'ils tentaient de voler de quoi se nourrir, ils n'étaient guère mieux considérés de retour chez eux. Des soldats en perdition dont les récits n'intéressaient personne dans un Japon qui se relevait de la guerre. «Ils avaient survécu au lieu de mourir sur le champ de bataille. Ce n'était pas très honorable. Je n'aurais pas voulu que mon frère revienne ainsi. Pour éviter la honte de la famille, je préférais qu'il soit mort au combat. Puis le temps a passé.» Et les mentalités ont changé, faisant des rescapés des robinsons des temps modernes.

En 1978, le gouvernement japonais lance l'opération «Cerisier en fleurs» pour tenter de localiser d'autres soldats dans le Pacifique alors que des familles montent des expéditions pour retrouver ceux qui ne sont pas revenus. Jusque dans les années 80, dans les îles Salomon où se déroula la bataille de Guadalcanal, il n'était pas rare de voir de petits avions survoler à basse altitude le manteau de la jungle, alors que, par la vitre rabattue, était hurlé dans un porte-voix, le nom des disparus. Encore aujourd'hui, des familles viennent gratter le sol des îles du Pacifique dans l'espoir d'y recueillir les ossements des soldats japonais pour les brûler selon les rites traditionnels et qu'enfin, ils reposent en paix.

Teruo a repris sa canne et, dans son portefeuille, rangé l'image d'un jeune garçon un peu gauche dans la lumière artificielle où il pose. Il dit qu'il fallait ne pas se moquer de ces soldats abandonnés qui, dans les jungles du Pacifique, avaient mené une résistance solitaire contre un ennemi qui depuis n'existait plus.


Source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=235717&AG
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