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Mishima : Une soif d'amour

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ElieDeLeuze
7eme Dan
7eme Dan


Inscrit le: 04 Nov 2003
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MessagePosté le: 22 Aoû 2004 13:34    Sujet du message: Mishima : Une soif d'amour

 Note du Post : 4.5   Nombre d'avis : 2
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Comme d'habitude, la quatrième de couverture est trompeuse, mais pour Une soif d'amour, Gallimard fait très fort. Outre une traduction qui laisse lamentablement à désirer, l'éditeur nous gratifie d'un racourci qui ravira le plus paresseux des collégiens : c'est l'histoire de la maisonnée des Sugimoto, habitant dans la campagne du Kansai, et la jeune veuve Etsuko, passionnément amoureuse de june Saburo, s'abandonne passivement à son beau-père Yakichi, et finit par tuer le premier sous les yeux du second. Visiblement, l'éditeur n'a lu que les quinze premières et les quinze dernières pages. Je vais donc vous parler du milieu du roman.

Mishima nous a habitué à surprendre son lecteur en s'attachant à des récits assez différents les uns des autres d'un point de vue naratif. Dans Une soif d'amour, il se penche sur un quasi-huit clos dans cette résidence de campagne où le maître mot est la jalousie. Le vieux Maître, la bru veuve, ses deux autres fils avec leur femme et un couple de servants, cela nourrit toutes les envies, toutes les passions, et toutes les conventions aussi. Certains vous diront que le livre raconte la lutte d'une femme seule pour vivre sa passion impossible dans un milieu familial et social hostile. Désolé de décevoir ces spécialistes-là, mais Mishima ne fait pas dans le roman de gare.

Il ne se passe pas grand chose, dans ce roman, et ce n'est donc pas les péripéties successives qui font avancer le récit. Mishima enferme dans un microcosme campagnard tout ce que le Japon d'après-guerre peut produire de représentants de la nature humaine : le vieillard détenteur de la sagesse d'une lourde tradition féodale, la jeune génération urbanisée au vernis moderne mais aux entrailles caleuses, la simplicité des gens de la campagne et une veuve qui bouillonne de toutes les passions de toutes les traditions théâtrales orientales et occidentales. Les femmes occupent la scène, l'envahissant même de leurs envies, leur naïveté, leurs souffrances, leurs frustrations, et surtout leur jalousie. Ce mot revient tellement souvent au détour des descriptions des tourments de ces femmes qu'il est difficile de rater le message.

Mais ce qui m'a vraiment frappé, c'est Saburo. Personnage presque muet, garçon de ferme qui se laisse aller au gré des intrigues des autres, il n'a pas l'air de se sentir concerné par les désirs qu'il provoque. Il rappelle étrangement Yuichi des Amours interdites, mais en version rurale. De plus, la description physique de Saburo reprend point par point l'idéal érotique que nous confie Mishima dans les Confessions d'un masque : peau cuivrée, imberbe, musclé, ventre dûr, dos ferme, jeune, naturel et nageant dans l'évidence de son pouvoir érotique. On retrouve même l'érotisation du sang, sujet sur lequel Mishima s'étend aussi dans son roman autobiographique, en mettant en scène, dans Une soif d'amour, un festival shintô, prétexte à mettre Saburo torse nu et à libérer les désirs, où Etsuko, l'amoureuse passionnée, plante ses ongles dans la chaire ferme des omoplattes musclées de Saburo, se délectant même d'un reste de sang séché une fois seule, un peu plus tard dans la soirée. Ceci me revint en mémoire au moment du meurtre proprement dit, où la lame trancha la nuque parfaite de Saburo comme une pénétration pornographique, laissant couler le sang chaud comme un liquide séminal de l'être tout entier. En attribuant à Etsuko ses propres désirs, il donne à ce roman une dimension tragique : les souffrances d'Etsuko sont universelles à tous ceux qui tombent sous le poids de la passion, fétishisant le corps parfait d'un paysan dont les paroles seraient inutiles, croulant sous la culpabilité de n'être que trop faible pour y résister, et trop lâche pour y succomber.

Mishima fait d'Etsuko une meurtrière, mais d'un crime étrange : justifiant son geste funeste par des repproches à Yakichi de ne pas avoir lui-même tuer Saburo pour la libérer de son emprise sur elle, c'est le monde tout entier que Mishima met en accusation. Aucune tradition, aucune éthique, aucune société ne saura jamais sauver la victime de ses désirs, impuissantes devant la passion d'un seul individu. La mort ne guérit rien, elle lie à jamais l'érotisme violent et sa servile victime dans un lien éternel. Il n'y a que des victimes à ce jeu-là.



Rassurez-vous, ma passion pour Mishima ne s'accompagne pas de symptômes aussi inquiétants. Evitez quand même de me déranger quand je suis en train de lire un livre de Mishima, je pourrais vous lancer un regard assassin...
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benkun
3eme Dan
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MessagePosté le: 25 Aoû 2004 16:04    Sujet du message:

 Note du Post : 4.5   Nombre d'avis : 2
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Citation:
Mishima enferme dans un microcosme campagnard tout ce que le Japon d'après-guerre peut produire de représentants de la nature humaine : le vieillard détenteur de la sagesse d'une lourde tradition féodale, la jeune génération urbanisée au vernis moderne mais aux entrailles caleuses, la simplicité des gens de la campagne et une veuve qui bouillonne de toutes les passions de toutes les traditions théâtrales orientales et occidentales. Les femmes occupent la scène, l'envahissant même de leurs envies, leur naïveté, leurs souffrances, leurs frustrations, et surtout leur jalousie


Eh! Eh! Ca ne te rappelle pas un chef-d'oeuvre de la litterature francaise ElieLeDeuze Wink ?
Et oui, Francois Mauriac, Therese Desqueyroux...
Mishima c'est largement inspire de ce roman pour Une soif d'amour, c'est pourquoi je te conseille, si tu ne l'as deja pas fait, de le lire imperativement.
Cette fois encore, Mishima mishimise une oeuvre occidentale pour en faire quelque chose de different... Il recherchait deja a cette epoque a faire du "purement japonais" avec comme principal materiau pour son travail d'alchimiste Sade et Bataille dont l'influence transparait largement dans cette soif d'amour...

Lire Mishima et lire les oeuvres a partir desquelles il s'inspire peut sembler laborieux quand on veut decouvrir rapidement l'auteur japonais. Mais cela ajoute vraiment un plaisir a la chose. Mishima avait une vraie conscience elitiste et est donc tres, tres exigeant envers ses lecteurs, qu'ils soient Japonais ou Occidentaux. Lire du Mishima en Japonais est une epreuve de force meme pour un Japonais, et en plus il exige d'enormes references litteraires (litterature classique et contemporaine, japonaise et occidentale) pour pouvoir comprendre son travail dans sa globalite...

Evidemment, c'est quasiment impossible... A moins d'avoir une connaissance litteraire au moins egale a celle Mishima et d'avoir parcouru le meme chemin que lui. Mais pour celui qui se plie ou qui s'essaie a cet exercice, il y a la decouverte d'un travail de deconstruction et de reconstruction passionnant qui ajoutte au simple plaisir de la lecture une autre dimension... Bref, a quand les romans de Mishima avec des notes en bas de page... j'en reve toutes les nuits...

Un site pour lire Therese Desqueyroux en ligne (ca vaut pas le papier et ca nique les yeux mais pour les radins Twisted Evil ) :
www.chass.utoronto.ca/french/as-sa/editors/pgm/pleiade/html/desqueyroux.htm
_________________
http://www.supercagouille.com/
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