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Posté le: 12 Fév 2004 11:23 Sujet du message: Japon en Irak : «Une politique non justifiée de suivisme des Etats-Unis»
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Le débat fait rage au Japon après l'envoi de troupes nippones en Irak.
«Une politique non justifiée de suivisme des Etats-Unis»
Par Michel TEMMAN
jeudi 05 février 2004
Tokyo de notre correspondant
«Nous sommes face à un flagrant délit constitutionnel. L'identité pacifique du Japon d'après guerre vole en éclats.» Yoichi Higuchi, juriste
Quarante-huit heures après le départ pour le sud-est de l'Irak d'un premier contingent de 90 militaires japonais armés (un millier sont attendus d'ici mars), la polémique autour du bien-fondé de la participation du Japon à la coalition de pays engagés en Irak a repris. «L'impensable est devenu réalité», jugeaient, hier, dépités, les opposants à l'envoi des forces d'autodéfense en Irak.
La contestation de la politique irakienne du Premier ministre, Junichiro Koizumi, n'agite plus seulement les traditionnels partis d'opposition, neutralisés par leur échec aux dernières élections législatives. La colère grandit désormais au sein même du Parti libéral démocrate (PLD), majoritaire, accroché au pouvoir depuis 1955. Les barons et ténors du parti, de nombreux ex-ministres, ne cachent plus leur embarras, voire leur hostilité, face à la politique étrangère de leur gouvernement, jugée «aventureuse». Lors de l'adoption de la résolution autorisant l'envoi des Jietai («Forces d'autodéfense», le nom de l'armée japonaise) en Irak, quatre poids lourds du PLD (deux ex-ministres et deux ex-secrétaires généraux du parti) étaient absents de la séance parlementaire.
L'envoi de troupes japonaises armées en Irak est une décision «historique». C'est la première fois depuis 1945 que Tokyo dépêche à l'étranger, sans mandat onusien, des soldats armés sur un théâtre de guerre. A une large majorité, la population japonaise, très inquiète, ne suit pas. En novembre, avant même l'assassinat des deux diplomates japonais tués à Takrit, 83 % des Japonais, selon un sondage du quotidien Mainichi, assuraient être hostiles à l'envoi de troupes en Irak.
«Casus belli juridique». En cause : l'abandon, en catimini, du pacifisme constitutionnel national, loi d'airain du Japon d'après guerre. L'article 9 de la Constitution (adoptée en 1946) stipule en effet que «le Japon renonce pour toujours à la guerre (...) et à la menace et à l'emploi de la force comme instruments pour résoudre les différends internationaux». Pour les juristes et les rares intellectuels nippons qui critiquent le «manque de débat autour de l'interprétation nouvelle de l'article 9», la décision d'envoyer des troupes en Irak autorisées à ouvrir le feu pour se défendre et à tirer sur des véhicules suspects marque un «casus belli juridique».
«Nous sommes face à un flagrant délit constitutionnel, constate Yoichi Higuchi, professeur de droit constitutionnel comparé à l'université Waseda. L'identité pacifique du Japon d'après guerre vole désormais en éclats.» Sur un mode moins académique, c'est encore l'avis des Guerilla Pink, un mouvement de jeunes Japonaises délurées qui manifestent régulièrement dans les rues de Tokyo en affichant leur hostilité au couple Bush-Koizumi.
Illustration de l'ambiance dans les arcanes du pouvoir nippon, un ancien ministre de la Défense, Noboru Minowa, a déposé plainte devant le tribunal de Sapporo (Hokkaido). Il estime «anticonstitutionnelle la politique étrangère actuelle du Premier ministre Koizumi».
Les atteintes à la ligne pacifique constitutionnelle ne sont pas tout. «C'est une politique non justifiée de suivisme des Etats-Unis», estime le quotidien libéral Asahi. Son concurrent conservateur Yomiuri estime au contraire qu'il est de la responsabilité du Japon de «participer à la restauration de l'Irak» et que «la mort des [deux] diplomates [japonais] ne doit pas rester vaine».
«Désordre». «Même sans article 9, on peut conduire une politique étrangère raisonnable, observe le juriste Yoichi Higuchi. La France et l'Allemagne n'ont pas de Constitution pacifique. Ces deux pays se sont pourtant opposés à la guerre ! Le risque est grand de voir les choix actuels conduire le Japon au désordre.» Inquiet des menaces d'Al-Qaeda qui a menacé, il y a trois mois, le Japon parmi six pays de la coalition en Irak, Tokyo vient d'adopter un arsenal de mesures de lutte antiterroriste, notamment en durcissant les contrôles frontaliers.
> Source : Libération.fr |
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