Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant |
Auteur |
Message |
Argetlamh 1ere Dan
Inscrit le: 22 Mai 2007 Messages: 99 Points: 2576 Pays, Ville: Japon
|
Posté le: 04 Oct 2007 13:44 Sujet du message: Le concept de "ma"
Note du Post : 3 Nombre d'avis : 1 |
|
|
J'ai assisté hier à une présentation sur le thème de la puissance de l'animation japonaise, par Nobuyuki Tsugata (historien de l'animation japonaise et professeur à l'université des arts de Osaka et à l'université Seika de Kyoto).
Au passage, si il passe près de chez vous (il était hier à Dublin, et juste avant en Islande, donc pourquoi pas la France), ne le loupez surtout pas, il était très intéressant et les extraits choisis comprenaient quelques perles très anciennes. Enfin, bref, je ne vais pas m'étendre sur la présentation elle-même (ce ne serait pas la bonne section du forum).
Un point de sa réflexion a suscité ma curiosité. Il expliquait que selon lui, les scènes "non-animées" de l'animation japonaise ont gagné un intérêt artistique (il a notamment pris l'exemple de la scène de l'arrêt de bus dans Mon voisin Totoro), bien qu'au départ dues à des raisons financières/techniques, du fait de leur proximité au concept de "ma" : par le "non-mouvement", elles expriment autre chose.
Il a donné un exemple de ce concept, assez parlant, que je vais essayer de ne pas déformer.
Prenons une feuille de papier, et sur le tiers inférieur de celle-ci, dessinons des montagnes, des arbres, et laissons les deux tiers au-dessus blanc. Cet espace est vide, tout en l'étant pas : certains y verront de l'air, ou du vent, ou entendront même le bruit de la forêt.
Cet espace non-rempli mais non-vide, ce serait le "ma" (間).
C'est très intéressant comme concept, et je trouve que cela mérite de s'y pencher un peu plus, mais je suis en manque de références.
Et forcément, rechercher "ma", que ce soit sur le forum et sur internet, c'est assez compliqué...
Si quelqu'un veut détailler cela un peu plus, ou a des références utiles, je suis donc tout à fait preneur ! |
|
Revenir en haut |
|
|
Aristarque 5eme Dan
Inscrit le: 13 Aoû 2004 Messages: 710 Points: 14908 Pays, Ville: Paris
|
Posté le: 04 Oct 2007 16:12 Sujet du message:
Note du Post : 4 Nombre d'avis : 2 |
|
|
Comme référence livresque, tu as « Le sens de l’espace au Japon », d’Augustin Berque.
Sinon tu pourrais te lancer dans la calligraphie, où tu verrais apparaitre cette idée que ce que montre une calligraphie, ce n'est pas des traits au pinceau, mais des espaces vides, entre les traits. Le succès d'une calligraphie peut se comprendre comme sa capacité à organiser l'espace de la feuille de papier de manière « intéressante ».
Et puis je ne résiste pas à la tentation de citer Lao Tseu :
« L'être et le vide s'engendrent l'un l'autre » (*)
« L'espace entre ciel et terre
Pareil à un souffle
Est vide et ne s'affaisse pas
Exhalé, il est inépuisable » (**)
« On pétrit l'argile pour en faire un vase
Mais sans le vide interne
Quel usage en ferait-on ? » (***)
(*) Tao Te King, 2, traduction Ma Kou, Albin Michel 1984
(**) op. cit., 5
(***) op. cit., 11 _________________ « Aris » |
|
Revenir en haut |
|
|
Asakaze 1ere Dan
Inscrit le: 15 Juil 2007 Messages: 145 Points: 1950 Pays, Ville: Paris
|
Posté le: 04 Oct 2007 18:20 Sujet du message:
Note du Post : 4 Nombre d'avis : 2 |
|
|
Comme vous vous en doutez, le concept du ma 間 est très présent dans la musique japonaise. Dans le répertoire traditionnel honkyoku de l'école Kinko de shakuhachi on le trouve dans certaines notes prolongées :
Exemple tiré de Sanya 三谷 : dans la colonne de droite (n° 五) le trait après la note イ prolonge cette note ; il est intéressant de constater qu'on perçoit le ma même dans le graphisme de la partition.
L'effet est une suspension du temps, la création d'une sorte de vide. La même impression peut être créée dans le silence entre deux phrases.
On retrouve également le ma dans le répertoire contemporain occidental écrit par des compositeurs japonais, je pense notamment à Yoshihisa Taïra. Sans parler du nô, bien évidemment. |
|
Revenir en haut |
|
|
Tanuki 2eme Dan
Inscrit le: 22 Sep 2003 Messages: 187 Points: 3189 Pays, Ville: Rennes
|
Posté le: 04 Oct 2007 18:36 Sujet du message:
Note du Post : 4 Nombre d'avis : 1 |
|
|
Hello !
J'ai quelques liens qui pourraient t'intéresser. Je te les donne, mais note que je ne sais absolument pas si les sources sont fiables... En tout cas, sur Google avec "Japanese ma" on a déjà pas mal de réponses
C'est vrai que c'est un concept très intéressant. Bon sujet !
http://www.columbia.edu/itc/ealac/V3613/ma/
http://japanese.about.com/library/weekly/aa082097.htm
Voici une série de DVD qui peuvent être intéressants (disponibilité ?).
http://www.takaiimura.com/work/DVDma.html
Ici une vidéo : http://openvault.wgbh.org/ntw/MLA000039/index.html
Un article en anglais par un japonais : http://www.mfjonline.org/journalPages/MFJ38/iimura.html
J'ai l'impression que "Ma" est aussi un concept qu'on retrouve dans l'élaboration des jardins japonais, mais plus généralement dans beaucoup de formes d'art.
On peut varier les recherches sur Google, avec ajout de "Space", "Interval", en gardant 'Japansese Ma" au début. De toute façon, il faut bien comprendre que la majeure partie de la documentation sur le web est en anglais. A partir de là, il est plus simple de faire des recherches fructueuses.
T. _________________ Peter change de partenaire sur Japanesepod101.com : "Sounds niiice" !
Et un blog pour ceux qui disent que l'orthographe n'est pas un plaisir ! |
|
Revenir en haut |
|
|
remuka 7eme Dan
Inscrit le: 22 Sep 2003 Messages: 2422 Points: 27072 Pays, Ville: Tokyo, Setagaya-ku
|
Posté le: 04 Oct 2007 19:13 Sujet du message:
Note du Post : 4 Nombre d'avis : 2 |
|
|
Pour moi c'est à moitié du gomakashi à la japonaise, façon justification à l'ancienne - dont ils ont le secret, parfois, au Japon tu entendras des justifications pour des trucs dont tu n'as même pas soupçoné l'existence, la dessus ils me font vraiment marrer - et à moitié une référence à quelque chose qui existe effectivement dans l'esthétique japonaise traditionelle - et la dessus je suis 100% d'accord avec ton conférencier, à savoir l'importance du vide dans une composition. Bon après c'est loin d'être spécifiquement japonais hein, mais dans une image traitée de façon très graphique ça aura beaucoup plus d'importance que dans une image plus picturale, c'est évident.
Tu vas retrouver ça dans les images traitées à la ligne claire d'Edo (les estampes etc), dans le nihonga plus ou moins nationaliste qui a a suivi (de façon assez rigolote pourtant énormément influencée par la Chine), mais aussi dans la calligraphie, l'architecture, même contemporaine... Les artisans et artistes japonais ont souvent ce truc génial de travailler autant les pleins que les vides, les deux en tant que formes à part entières. (en même temps en terme de composition c'est vraiment le B.A Ba : le vide met en valeur le plein, le blanc le noir, etc.).
Je te conseille la lecture de l'Eloge de l'Ombre de Tanizaki - c'est très daté et un peu connoté historiquement aussi (le propos n'est pas qu'esthétique, contrairement à ce qu'il essaie de nous faire croire) mais très intéressant pour qui s'intéresse à ce genre de choses. _________________ Sucre. | Candyland.jp |
|
Revenir en haut |
|
|
ElieDeLeuze 7eme Dan
Inscrit le: 04 Nov 2003 Messages: 2738 Points: 25606
|
Posté le: 04 Oct 2007 20:57 Sujet du message:
Note du Post : 3.66 Nombre d'avis : 3 |
|
|
Le ma en calligraphie, c'est à la fois simple et compliqué. Le côté simple, c'est la théorie, qui est maléable à l'envie et chacun peut en faire ce qu'il veut. Il y a un reste de tao dans le réflexe de toujours trouver un contraire à tout pour définir l'entité. Nul besoin d'être un génie pour voir le blanc à côté du noir.
Le côté compliqué de la chose, c'est ce qu'on en fait. Quand ma prof me dit "ce kanji est trop serré", c'est que le ma est nul. Mais allez expliquer ça clairement... Et quand elle me dit "c'est bien tracé, mais ça ne tient pas", c'est que le trait est bon mais que la composition n'est pas harmonieuse, le ma est irrégulier, disproportionné, mal réparti, ce qui crée des turbulences comme si un vent froit s'engouffrait dans le espaces ma trop grands et sifflait dans les espaces ma trop étroits. J'ai compris le ma quand ma prof m'expliqua le tracé de l'élément 田 en commentant la forme des carrés sans dire un mot sur les traits. Du coup, tracé un 田 ou créer l'interface d'un site internet, c'est le même travail : on met des lignes pour créer l'espace, en une infinie interdépendance des proportions. Le fait est que la seule façon de faire un 田 potable, c'est de penser aux carrés, pas aux lignes. En cursive, on voit aussi apparaitre des points finaux là où il n'y en a pas dans le tracé en régulière, car il permet de rajouter du plein dans un vide, de rééquilibrer un tracé. _________________ J'exige de mon lecteur une certaine intelligence. Il est peu probable que ce soit votre cas, veuillez passer au message suivant. Merci de votre compréhension. |
|
Revenir en haut |
|
|
gaboriau 4eme Dan
Inscrit le: 09 Oct 2003 Messages: 1167 Points: 8150 Pays, Ville: Québec
|
Posté le: 04 Oct 2007 23:21 Sujet du message:
Ce message n'a pas encore été noté. |
|
|
Est-ce que le fameux "non-dit" japonais (au niveau de la communication interpersonnelle) peut être considéré comme une variante de ce "ma" ? _________________ Futur simple : j'aimerai
Conditionnel présent : j'aimerais
Imparfait : j'aimais
Passé simple : j'aimai |
|
Revenir en haut |
|
|
Argetlamh 1ere Dan
Inscrit le: 22 Mai 2007 Messages: 99 Points: 2576 Pays, Ville: Japon
|
Posté le: 05 Oct 2007 07:38 Sujet du message:
Ce message n'a pas encore été noté. |
|
|
Merci pour toutes ces réponses. Me voilà avec de quoi bien approfondir le sujet ! |
|
Revenir en haut |
|
|
ElieDeLeuze 7eme Dan
Inscrit le: 04 Nov 2003 Messages: 2738 Points: 25606
|
Posté le: 06 Oct 2007 09:45 Sujet du message:
Note du Post : 4 Nombre d'avis : 2 |
|
|
Je vais tenter d'expliquer le ma du caractère 永 - mon avatar du moment.
On voit tout de suite que les espace triangulaire entre les traits sont tous différents. Le plus petit est dans le フ à gauche, et le plus grand est dans le く à droite. La perspective est donc donnée par cette base, articulée autour du 亅central.
Cependant, les espaces ma de gauche serait plus grands que ceux de droite vu que l'élément graphique principal est petit. Pour éviter que le ma soit trop présent à gauche, on s'applique à le réduire, par le crochet en bas et par un trait horizontal court en haut. Ainsi, les triangles blancs du ma se font plus discrets, tout en donnant au caractère une silouëtte clairement de profil qui lui confère de la profondeur et de la vie.
Du coup, le く de gauche peut prendre toute la place et organiser l'espace ma en trois zones. Elles sont de tailles différentes, mais celle du haut et du bas se correpondent. La grande ouverture au milieu est rendue moins béante par le dernier trait oblique renforcé, tout en laissant le ma développer sa force maximale dans cette espace.
La gradation entre un ma minimum à gauche et maximum à droite est tout aussi progressive que rapide, le ma grandit sans exploser tout d'un coup. C'est un crescendo de ma qui jaillit vers l'infini. _________________ J'exige de mon lecteur une certaine intelligence. Il est peu probable que ce soit votre cas, veuillez passer au message suivant. Merci de votre compréhension. |
|
Revenir en haut |
|
|
Botchan 4eme Dan
Inscrit le: 11 Sep 2004 Messages: 672 Points: 11619
|
Posté le: 06 Oct 2007 17:09 Sujet du message:
Ce message n'a pas encore été noté. |
|
|
Un vote pour Remuka !
Non pas pour dire que "c'est des conneries", car ce que développe Elie par exemple, ou encore ce professeur japonais sur les procédés de base de l'animation vidéo, n'est pas futile mais intéressant, en tant qu'analyse de procédés et de pensées techniques.
Ce qui est ridicule par contre, c'est de vouloir réduire ce que l'on appelle "ma" dans ce fil à un "concept japonais", ou un truc qui serait un peu partout dans tout ce que serait supposé être "japonais"...
Le "ma" dont on parle, c'est tout simplement "l'intervalle"... et comme le fait remarquer Remuka, tous les arts et techniques s'appuient sur la gestion d'intervalles.
Par exemple, je ne sais pas si ce prof japonais tambourine dans ses conférences "le ma japonais", "la ma japonais", mais en limitant son objet d'étude à des animations "japonaises"... je crains que ce soit forcément le cas !
Je ne sais qui a été le premier sur la dissertation autour du "ma" (mais ne dit- pas plutôt "aida"?), mais un philosophe japonais dont j'ai oublié le nom a tenté d'expliquer que le concept "japonais" de l'humanité résidait dans cet "intervalle" entre les "humains", deux caractères forgeant le mot humanité : 人間 ningen etc.
Comme pour dire que l'humanité au Japon n'était pas la même qu'ailleurs... personnellement, c'est pas mon truc. _________________ "Avec ce pouvoir [de la réthorique], tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe et, quant au fameux financier, on reconnaîtra que ce n'est pas pour lui qu'il amasse de l'argent mais pour autrui, pour toi qui sais parler et persuader les foules." Platon, Gorgias (IVème siècle avant J-C) - NB : suis privé du droit de notation depuis Fukushima, devinez pourquoi !- |
|
Revenir en haut |
|
|
|
|
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum
|
|