Plus de 100 000 manifestants au Japon contre des manuels d'histoire

[HBKman]

[Byakuya_°°]

Je pense que ce rassemblement est utile car les suicides collectifs, à l'époque comme aujourd'hui, sont un problème de société énorme au Japon et c'est tous les jours de nouveaux décès qui ne cessent jamais.
Quant à la décision du gouvernement, c'est totalement irresponsable de laisser passer des évènements aussi importants, et rappelle un petit peu les dires d'un certain monsieur du FN, comme quoi les chambres à gaz (2de guerre mondiale dans les camps de la mort comme Auschwitz et Treblinka) seraient un détail de l'histoire de la Shoah (étant descendante de déportés ça m'est légèrement insupportable...) et même si mon opinion personnelle ne regarde que moi, j'espère que je ne suis pas la seule à trouver cela d'une aberration totale !
Je souhaite donc vivement aux japonais de remporter haut la main ce "combat".

[yutenji]

Bonjour,

c'est un debat entre japonais. J'ai aussi entendu que sans approuver les manuels nationalistes, de nombreux japonais sont aussi choques par l'attitude de certains professeurs, qui refusent notamment que l'hymne national soit joue devant les eleves.

[naokonomono]

j'ai entendu dire que les gens d'okinawa sont depuis longtemps remontés contre les autorités japonaises, qui d'après eux les ont abandonné aux mains des américains au lendemain de la guerre.

De plus tous les japonais semblent au courant de cette épisode de "suicides" obligatoires. Que le gouvernement cherche à embellir son passé au détriment d'une population sacrifiée ne risque pas de plaisir à grand monde là-bas. Enfin, j'espère.

Quand même, 100 000? ça, c'est de la manif!

[Sky_of_September]

[Furansowakun]

Oui carrément, 100 000 personnes, c'est assez balaise, ça la fout mal pour tous ceux qui pensent que le Japon ne connait plus du tout la lutte sociale et que lutter, manifester pour ses droits ou pour satisfaire une revendication donnée est finalement dépassé et vieillot. Au Japon aussi il y a de la résistance !!

Mais le truc, c'est que Okinawa, est-ce vraiment le Japon ? Un peu d'histoire s'impose.

Le royaume de Ryukyu (琉球王国) a été unifié en 1429 et c'est à cette période que les historiens pensent que le terme Ryukyu est apparu. Les habitants de ce territoire ainsi unifié se distinguent par leur langue (ce n'est pas un dialecte du japonais), ses moeurs et ses coutumes, qui diffèrent de la métropole japonaise, comme du voisin chinois par ailleurs.

Le royaume de Ryukyu a une particularité : celle de n'avoir jamais véritablement développé d'armée assez structurée pour défendre ses frontières, de la même manière que les Ainou au nord à Hokkaidô par ailleurs (qui avaient pour le coup un rapport au sol différent, sol comme ne leur appartenant pas, la notion d'invasion n'existant donc pas), ce qui fait qu'il n'aura jamais la force militaire de s'émanciper de la puissance des blocs voisins, c'est à dire de la Chine, du Japon et plus tard comme on va le voir, des Etats-Unis étant en quelque sorte toujours coincé entre des puissances le dépassant comme j'en parlais une fois un peu là > http://www.forumjapon.com/forum/viewtopic.php?p=113372&highlight=itokazu#113372

En 1872 déjà, le royaume de Ryukyu qui était sous tutorat chinois, passe progressivement sous contrôle japonais (琉球国＞琉球藩), le Japon ayant besoin d'Okinawa pour commercer plus facilement avec son voisin chinois et cette invasion, caractérisé par l'anéantissement du royaume, est concrétisée en 1879 puisque c'est à cette date que le Japon officialise la colonisation de Ryukyu, en changeant le nom du royaume : on passe de Ryukyu (琉球) à Okinawa(沖縄). C'est une date importante car elle ouvre le processus, qui ne sera stoppé qu'avec la défaite japonaise en 1945, de colonisation moderne opéré par l'Etat japonais.

Ce rang de colonie restera longtemps gravé dans le statut politique même de cet archipel, puisque les habitants d'Okinawa n'obtiendront le droit de vote qu'en 1920, là où les habitants de la métropole l'obtiendront dès 1890.

Le Japon mettra en oeuvre une politique d'assimilitation (同化対策dôkataisaku) de manière à supprimer tout héritage culturel passé de Ryukyu, en détruisant la langue (politique efficace puisque cette langue n'est presque plus parlée aujourd'hui, le nombre de locuteurs vivants se comptant sur les doigts de la main), mais également les coutumes, les moeurs, de manière à opérer une politique active d'uniformisation culturelle.

Cette politique débouchera sur une perte rapide des valeurs des habitants de Ryukyu, mais surtout par une catastrophe économique sans précédent, le statut de colonie étant très clairement délimité par les autorités japonaises, Ryukyu ne constituant au fond qu'une béquille économique pour la métropole japonaise (situation économique encore très particulière aujourd'hui, l'archipel ne vivant grosso-modo presque qu'avec le tourisme et les bases américaines, avec un taux de chomage 2 fois plus élevé que la moyenne nationale et une paupérisation plus forte que la métropole, comme j'en parle aussi vite fait dans mon message sur les élections).

Cela entrainera un exode massif de la population d'Okinawa qui ira s'installer à Osaka dans les quartiers pauvres avec des conditions de vie misérables, dans les quartiers occupés par les autres minorités japonaises, à savoir les burakumin et les zainichi, les travailleurs forcés coréens colonisés contraints de travailler dans les usines japonaises pour l'édification du Grand Japon Impérial de l'époque. Il existe encore à Osaka à aujourd'hui des quartiers d'habitants d'Okinawa.

Ils vont également émigrer massivement aux Etats-Unis, et une fois que le gouvernement des Etats-Unis décide de fermer ses frontières en 1921, même vers l'Amérique Centrale où on compte encore aujourd'hui de nombreuses familles dont les origines généalogiques sont d'Okinawa.

En fait, ce territoire fraichement colonisé par l'Etat japonais et ainsi étant tenu de combattre pour la construction de "la Sphère de la Co-Prospérité" pour reprendre la propagande de l'époque (c'est à dire l'invasion de l'Asie par les troupes impériales), sera en fait le territoire qui souffrira le plus des atrocités de cette guerre, puisqu'on compte plus de 100 000 morts parmi les civils d'Okinawa, ce qui est gigantesque, dans une population ne dépassant pas le million (Philippe Pons du Monde parle quant à lui de 200 000 morts, soit un quart des habitants d'Okinawa, même si mes sources diffèrent; enfin, plus que la bataille des chiffres, il importe de saisir l'importance colossale des pertes humaines pour Okinawa, qui constitue un traumatisme sans précédent)

Le Japon va en effet mettre au point à l'apogée de la tuerie, quand les Américains débarquent à Okinawa, une stratégie jusqu'au boutiste, impliquant le sacrifice général de la population (de la même manière qu'Hitler jugeait inacceptable que la race allemande survive à la défaite), en japonais > "全面的特攻作戦", zenmentekitokkôsakusen, c'est à dire "stratégie kamikaze générale", alors que la défaite était de plus en plus inévitable.

C'est dans ce contexte général que s'inscrivent les suicides collectifs de la population imposés par l'armée impériale en 1945 que mentionne l'article envoyé par HBK. En effet, les troupes impériales vont mettre en place une politique de propagande mensongère visant à faire croire à la population que si elle tombait aux mains des Américains, ils seraient systématiquement violés puis exécutés. De plus, on sait aujourd'hui que l'Armée japonaise organisa également des suicides collectifs et fournit parfois des grenades aux civils (les grenades ne tombant pas du ciel). Il y avait des scènes horribles où parfois le père était contrait de tuer ses enfants, sa femme et ensuite de se donner lui-même la mort.

De même, les militaires qui s'étaient réfugiés dans les grottes qui parsèment le territoire d'Okinawa (en langue locale, on les appelle "gama"), amenaient avec eux des civils d'Okinawa qui leur servaient de prostituées ou d'infirmières, parfois les deux en même temps. Les militaires avaient les meilleures places dans ces grottes, le plus au fond de ces dernières, alors que les civils, séparés des militaires, étaient plus proches de la sortie des grottes ce qui fait qu'ils étaient toujours les premières victimes carbonisées par les lance-flammes américains, la vie des civils étant évidemment moins importantes que celle des militaires pour les détenteurs du pouvoir, c'est à dire les militaires.

L'affaire de "Himeyuri" (ひめゆり), de cette nature, illustre tout à fait la relation unilatérale qui existait entre les troupes impériales et les civils d'Okinawa, des militaires plus ou moins perdus ne sachant plus vraiment que faire, déboussolés avec des civils, souvent, en incapacité de les comprendre car ne parlant pas suffisament japonais.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur cette période, mais j'ai peur que le message devienne un peu trop indigeste, en tout cas voilà j'espère que par ce message j'ai pu faire avancer le schmilblick en éclairant un peu cette période très noire de l'histoire japonaise.

[Botchan]

Yutenji a dit que "de nombreux japonais sont aussi choques par l'attitude de certains professeurs, qui refusent notamment que l'hymne national soit joue devant les eleves"... ??
D'où vient donc cette idée ?
C'est la première fois que j'entends dire une chose pareille !
Le problème du lever obligatoire au drapeau et à l'hymne impérial dans les écoles porte sur son caractère obligatoire, imposé par la législation locale ou les règlements intérieurs.
De nombreux professeurs sont outrés qu'on les force eux et l'ensemble des élèves à se lever en marque de respect et d'obéissance à une entité (l'empire) au passé récent si honteux.
Certains refusent donc de se lever au grade-à-vous, ce qui leur vaut d'être traînés devant les tribunaux de la "démocratie" impériale.
Le corps enseignant est la cible classique des réactionnaires de droite ne supportant pas qu'un indivivu s'oppose par le réflexion à leur Ordre anti-démocratique. Dans la presse du régime on trouve donc régulièrement des articles et éditos attaquant ce milieu professionnel intelligent pour le décrire comme un groupe dégénérant (c'est à dire progressiste).
Dernièrement, pour faire passer la loi rendant obligatoire le "patriotisme" à l'école, on a eu droit à toute une campagne de propagande pour annoncer "la baisse constante du niveau d'éducation" ou encore une éducation "consensuelle"... etc.
Evidemment, depuis que la loi a été votée, aucun journal n'ose s'interroger sur la qualité de l'enseignement "patriotique" actuel ni sur les effets de la loi, c'est à dire sur ses causes réelles !!
(il est évident que la loi a été passée pour préparer dans le long terme la remilitarisation du régime, il n'y a aucun effet à court terme d'espérer, mais pour la propagande, pour mettre l'opinion sous pression, on a monté la fiction d'une éducation "molle" et donc "mauvaise" avec des enseignants "bralaeurs"...)
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"Avec ce pouvoir [de la réthorique], tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe et, quant au fameux financier, on reconnaîtra que ce n'est pas pour lui qu'il amasse de l'argent mais pour autrui, pour toi qui sais parler et persuader les foules." Platon, Gorgias (IVème siècle avant J-C) - NB : suis privé du droit de notation depuis Fukushima, devinez pourquoi !-

[Robert Patrick]