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"Dans les eaux chaudes du repentir" - Les lépreux au Japon |
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Dans les eaux chaudes du repentir
LEMONDE.FR | 29.12.03
Les lépreux seraient-ils encore des parias au Japon, deuxième puissance économique de la planète ? La presse nippone s'est fait récemment l'écho d'un cas de discrimination : une vingtaine d'anciens malades de la lèpre se sont vu refuser, au mois de novembre, une nuit dans un hôtel à Minami-Oguni, village de la préfecture de Kumamoto, sur l'île de Kyushu (Sud). La région, qui se présente comme "la Mecque des bains en plein air", offre aux touristes de nombreuses et très prisées sources d'eau chaude non loin du toujours actif volcan Aso.
Un simple fax serait cause de l'embrouillamini : la préfecture, à l'origine du voyage, réserve des places à l'Hôtel Kurokawa-Onsen. Selon le Mainichi Shimbun, l'établissement n'aurait appris que la veille de l'arrivée des voyageurs, par un fax de confirmation, qu'il s'agissait d'anciens malades. Par crainte de la contagion, la porte de l'hôtel leur est donc restée close. Mais le ministère de la justice et les autorités préfectorales ont décidé de porter plainte contre l'hôtel pour violation des droits humains.
Les relations du Japon avec ses lépreux restent donc entachées d'une peur tenace. En 1907, l'Archipel avait déjà édicté une loi prévoyant de débarrasser les rues de ces humains hideux qui pouvaient blesser la vue des visiteurs occidentaux. Et en 1953, pour éviter toute contamination, l'internement devenait obligatoire, une mesure qui ne fut abandonnée qu'en 1996. Mais durant des décennies, stérilisations et avortements furent le lot des lépreux, qu'on alla jusqu'à déclarer morts pour ne pas salir les familles. En mai 2001, traîné pour la troisième fois devant un tribunal, à Kumamoto, l'Etat dut enfin indemniser plus de cent anciens malades, qui reçurent chacun plusieurs millions de yens… et les excuses de Junichiro Koizumi, le premier ministre.
Relégués autrefois dans les îlots de Goto, face à Kyushu, tout comme les criminels, les lépreux semblent donc encore porter malgré tout les mêmes stigmates que les eta ("porteurs de souillures"), que le Japon confina jusqu'au XIXe siècle dans des "villages spéciaux" (tokushu buraku). Peuple de "non-humains" s'activant au tannage ou à l'équarrissage, des métiers à l'odeur de sang et de mort. L'Association pour l'indemnisation des lépreux a beau expliquer sur son site que la maladie de Hansen (du nom du médecin norvégien qui en découvrit le germe en 1873), aux traitements devenus efficaces, n'est pas mortelle, les préjugés sont difficiles à soigner. Si le mal peut se propager par la salive ou le contact avec la peau, seule la fréquentation étroite et assidue d'un lépreux non traité est contagieuse. Et le spectacle pitoyable de cohortes de misérables rendus aveugles ou aux bras à l'état de moignons du fait de soins trop tardifs est de ceux que l'empire du Soleil-Levant ne connaît plus.
Pour en avoir douté, Tadao Eguchi, le président de la firme de cosmétiques Aistar qui gère l'hôtel incriminé, se confond à présent en excuses sur le site de la société, ou auprès de la dizaine de sanatoriums dont il a déjà fait la tournée, n'hésitant pas à se rendre à Aomori, très loin de Kyushu. Peut-être - qui sait - pour y serrer quelques mains ou y distribuer des baisers.
Martine Rousseau
Source : http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-347468,0.html |
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